C’est un débat récurrent quand il est question des institutions de la Vème République. Y-a-t-il une justification à l’existence du Sénat ? En période de campagne sénatoriale, une chape de silence recouvre cette interrogation qui n’est pas sans intérêt. On n’imagine mal les candidats défendre l’inutilité du mandat auquel ils postulent. Alors que la riche séquence électorale de 2017 s’achève, étant précisé que la richesse fut plus quantitative que qualitative, avec justement le renouvellement de la moitié des 348 sénateurs, portons notre regard sur l’assemblée qui siège au Palais du Luxembourg.
Une tradition à la modernité discutable
Notre système parlementaire est bicaméral, c’est-à-dire qu’il institue deux chambres. La terminologie adoptée est quelque peu ambiguë. En effet, le Sénat est aussi appelé » Chambre haute » quand l’Assemblée Nationale s’intitule » Chambre basse « . Les adjectifs semblent déterminer une hiérarchie. Elle n’est pas la bonne. En fait, le qualificatif » haute » vient de l’époque où le Sénat représentait l’aristocratie ; » basse » identifie l’assemblée élue par le peuple. L’Assemblée Nationale est en réalité la première Chambre du Parlement ; le Sénat la seconde. Néanmoins celui-ci retrouve une prépondérance avec son Président qui occupe l’Elysée en cas d’intérim. A l’origine il fut préféré à celui de l’Assemblée Nationale parce que l’on imaginait qu’il serait moins politique dans le sens partisan et donc moins enclin à postuler à la fonction suprême alors qu’il assure l’intérim. La pratique n’est pas toujours ce que voudrait la théorie. Lors de la démission du Général de Gaulle en 1969, Alain Poher, Président du Sénat et Président de la République par intérim fut candidat et poussa Georges Pompidou au 2ème tour.
La notion de Chambre haute nous rappelle que le Sénat peut apparaître anachronique. Deux types d’État ont logiquement une deuxième assemblée : les États fédéraux et les monarchies. Dans le premier cas, la chambre haute représente les Etats fédérés, le Sénat aux Etats Unis et le Bundesrat en Allemagne par exemple. Dans le deuxième cas la noblesse siège dans cette assemblée à l’image de la Chambre des Lords au Royaume Uni.
Dans un Etat unitaire qui est une République, il ne serait pas illogique de n’avoir qu’une chambre, celle des députés. Mais la France a conservé ses habitudes des deux Empires et des monarchies post-révolutionnaires.
Elle a cependant su trouver une logique au maintien du Sénat dans la Constitution de 1958. On le comprend par la conjonction de deux articles. Citons l’article premier : » La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée » et l’article 24, alinéa 4 : « Il (le Sénat) assure la représentation des collectivités territoriales de la République « .
La notion de décentralisation s’est construite au fil du temps, particulièrement depuis les grandes lois du premier septennat de François Mitterrand. Le mouvement inéluctable s’est poursuivi au cours des mandatures suivantes. C’est dans les trente cinq dernières années un progrès fondamental eu égard à la tradition très centralisatrice de la France. La reconnaissance constitutionnelle n’en est que plus remarquable. Elle fut adoptée par le Congrès (Sénat et Assemblée Nationale) réuni à Versailles le 17 mars 2003.
Il paraît dès lors naturel qu’une Assemblée soit reconnue comme l’émanation des collectivités territoriales quand l’autre est celle de la Nation.
Le Sénat à ce titre est légitime.
L’interdiction du cumul du mandat de sénateur avec une fonction exécutive dans une collectivité est encore plus absurde au sein de la chambre haute qu’à l’Assemblée Nationale.
Celle-ci conserve une place évidemment privilégiée dans nos institutions.
Un bicaméralisme déséquilibré
Dans le cadre du principe de séparation souple des pouvoirs sur lequel repose la Constitution de 1958, l’Assemblée Nationale a une prérogative essentielle même si elle n’aboutit qu’une fois, en 1962 : elle peut voter dans des conditions précises et donc restrictives la censure, en d’autres termes renverser le gouvernement. Elle peut s’attendre dans ce cas à un retour de bâton du pouvoir exécutif. C’est la dissolution prévue à l’article 12 de la Constitution qui sanctionna d’ailleurs la censure votée en 1962. La Nation est alors l’arbitre suprême. Et en 1962 il donna raison à l’exécutif. La bipolarisation que cette crise généra a apporté une longue stabilité confortée par le quinquennat et l’ordre des élections, présidentielle confirmée par des législatives, provoquant au passage une désaffection des électeurs qui a atteint un nouveau record en 2017 en attendant peut-être pire dans cinq ou dix ans. Mais la stabilité indispensable si on compare avec les Républiques précédentes justifie-t-elle un tel recul de la démocratie ? N’y a-t-il pas d’autres moyens de l’assurer ?
Parce qu’il ne peut censurer, le Sénat ne peut être dissout. Les sénateurs ont la certitude constitutionnelle d’achever leur mandat de six ans. Les députés n’ont qu’une quasi certitude politique d’avoir la même chance pour leur bail de cinq ans.
Le déséquilibre est également législatif. Dans l’esprit de la rationalisation du parlementarisme voulue par le général de Gaulle et Michel Debré en 1958, il a été prévu le moyen de surmonter une résistance du Sénat à un projet de loi, la chambre haute semblant à la naissance de la Vème République moins fiable aux yeux du pouvoir exécutif, en raison de sa base électorale.
C’est l’objet de l’article 45.
Dans l’hypothèse d’un désaccord entre les deux chambres sur un texte législatif, l’alinéa 2 de l’article 45 prévoit la réunion d’une commission mixte paritaire (sept députés et sept sénateurs) chargée de proposer un projet consensuel. Si la commission n’aboutit pas, le gouvernement peut utiliser l’alinéa 4 : c’est l’Assemblée Nationale qui statue définitivement.
Exit donc le Sénat du vote de la loi. Précisons que si le gouvernement n’est pas certain du soutien d’une majorité de députés, il peut avoir recours à l’article 49-3. Il engage sa responsabilité sur le texte. Si une motion de censure qui entraînerait la chute du gouvernement et sans doute une dissolution n’est pas votée, le texte est considéré comme adopté. Les députés même défavorables à un texte hésiteront à aller jusqu’à renverser le gouvernement ce qui les renverrait aussitôt devant leurs électeurs. Le résultat est que la loi peut être promulguée et appliquée en dehors d’un vote explicite d’adhésion du Parlement. Ce fut le destin des lois Macron et El Khomri sous le mandat de François Hollande. Il n’est pas évident qu’il s’agisse d’une avancée démocratique. On rétorquera que c’est une possibilité constitutionnelle. Mais elle fut écrite en des temps d’incertitude de majorité afin que l’exécutif put néanmoins être efficace. C’était l’aube de la Vème République.
Un meilleur équilibre des pouvoirs entre exécutif et législatif est souhaitable et passe par l’effacement au moins dans la pratique sinon dans le cadre d’une révision constitutionnelle de certains articles destinés à assurer coûte que coûte la prépondérance du Président de la République et de son gouvernement. Mais le chemin n’est pas pris après les élections de 2017 à la suite desquelles l’Assemblée Nationale est plus que jamais une chambre d’enregistrement, pour ne pas dire croupion.
Finalement, le bicaméralisme actuel paraît déséquilibré dans un régime lui-même profondément déséquilibré.
Le Sénat y ajoute un mode de recrutement discutable.
Un système électoral inadapté
Au fil des années, le Sénat a connu une évolution de son mode de scrutin. Une partie des sénateurs est élue au scrutin majoritaire ; une autre au scrutin proportionnel, selon le nombre de parlementaires à élire. Ce deuxième groupe n’a cessé d’augmenter avec une double volonté : féminiser et sortir du jeu des notables. En fait, la conséquence a été une intervention croissante des partis politiques d’abord, puis de plus en plus une multiplication des listes, la première place étant parfois garantie comme si le scrutin était majoritaire pour son détenteur, les colistiers étant les faire-valoir pour représenter tous les territoires du département, constat effectif pendant la campagne mais oublié l’élection passée.
Il faut revenir à un scrutin totalement majoritaire : un sénateur élu dans un territoire. Le scrutin proportionnel peut trouver des justifications avec les élections législatives et des députés élus de la Nation et non pas d’un territoire surtout avec l’application du non-cumul des mandats et du dernier lien élu/territoire que constituait la réserve parlementaire. Cette logique apparente ne doit pas faire négliger que l’on gagnera en représentativité ce que l’on perdra en stabilité en éparpillant les partis siégeant à l’Assemblée, éloignant ainsi le confort d’une majorité, soutien de l’exécutif.
Encore faut-il que le territoire électoral du sénateur corresponde à une modernité de l’organisation territoriale. Il serait plus pertinent de créer des circonscriptions sénatoriales appuyées sur les intercommunalités et non sur les départements qui n’ont plus grand sens près de deux cent cinquante ans après leur création.
Une, deux ou plusieurs intercommunalités selon le nombre des habitants éliraient un sénateur avec un scrutin majoritaire dont le collège serait toujours composé d’élus mais avec une répartition plus juste qu’actuellement. Elire les sénateurs sur le même socle électoral que les députés en ne changeant que les frontières de la circonscription voire le mode de scrutin serait absurde. Cela aboutirait à avoir des élus identiques dans les deux assemblées.
Le Sénat est utile. Pour qu’il trouve sa pleine utilité des réformes sont nécessaires.
Il est utile par sa représentativité : les territoires c’est à dire au plan institutionnel les collectivités territoriales à condition de cibler celles qui portent l’avenir.
Il est utile par sa complémentarité : des élus différents apportant une lecture différente des textes législatifs. C’est un enrichissement incontestable de la loi grâce aux navettes qui peuvent être des freins dans le temps mais des accélérateurs en terme de qualité, à condition de réviser la Constitution et de rééquilibrer les pouvoirs au sein du Parlement lui-même et dans la relation pouvoir exécutif / pouvoir législatif.
Il est utile par son rôle de contre-pouvoir. Celui-ci ne s’exercera dans sa plénitude que si représentativité et complémentarité sont améliorées.
On ne peut se passer de ce contre-pouvoir dans cette Vème République viciée par le quinquennat et l’ordre des élections nationales, les législatives dans la foulée de la présidentielle.
Demain, plus que jamais, le Sénat doit être le contre-pouvoir qui peut tenter d’empêcher la dérive quasi dictatoriale que prend la démocratie française depuis le printemps. C’est la tendance des régimes dont le leader se rêve tout-puissant, pourtant conscient lui-même de la fragilité de son assise électorale.
L’enjeu est plus grand qu’une simple échéance électorale.
Gilles BOURDOULEIX
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Message particulier aux grands électeurs sénatoriaux.
Le 24 septembre, votez pour la liste conduite par Isabelle LEROY
pour que le Sénat soit aussi utile à notre territoire.